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Les lignes de désir

C’est un lieu que je connais bien, tous les matins le même rituel pour aller prendre mon train, remonter la rue à l’ombre écrasante du bâtiment de la SNCF. Le mur nous soutient, nous guide, avec la ligne de soutènement qu’il trace à nos côtés. Je parviens finalement tout en haut de la rue. Là, tout s’ouvre, se dégage à ma vue. Attendre avant de traverser. Les voitures filent à vive allure, ligne droite, route large. Traverser le pont suspendu au-dessus des voies de la gare de l’Est avec ses croisées de béton armé. Respiration de perspective avant de s’engouffrer dans le souterrain, guère le temps de flâner, un train à prendre, pas de temps à perdre. Rendez-vous à ne pas manquer. Il faut accélérer la cadence, agrandir sa foulée, juste le temps de jeter à la dérobée un coup d’œil vers les voies en dessous, un train entre en gare, le bruit qu’il fait, fracas des essuies sur les rails, crissements des freins à peine masqués par le flot des voitures, dans les deux sens sur le pont Lafayette.

Pont Lafayette, Paris 10ème

Tous les jours le même trajet, même heure, même place et les voisins de compartiment identiques à la veille. On enlève son manteau, on s’assoit dans le sens de la marche. Et le train démarre. Le paysage défile, toujours le même et jamais tout à fait pareil. Le regard se laisse aller à rêver et glisser à la vitesse du train, des endroits que l’on connaît toujours sous le même angle. Il suffit qu’un jour, le train rencontre un problème technique, une avarie, un accident, et tout s’arrête, se transforme radicalement. La perspective ainsi modifiée nous déstabilise. On ne sait plus où l’on est, pourtant le train s’est juste arrêté dans une gare du parcours, il a fallu descendre, sortir du cocon chaleureux du compartiment pour rejoindre la gare, plus aucun train ne pouvant circuler suite à un accident matériel. On se retrouve devant la gare, sur le trottoir et l’on regarde la foule des voyageurs perdus, sortis d’eux-mêmes et de leur tranquille habitude, mis en dangers, littéralement ailleurs.

Gare SNCF de Villeneuve-Saint-Georges

Le texte « Les lignes de désir » composé de 1001 fragments de 1001 signes chacun, est un récit à lecture et circulation aléatoire.


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