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L’invention des villes de papier

Je me souviens de Paris, Texas, cette ville qui dans l’ombre de la capitale tente de trouver leur place, mais ce n’est pas tant l’existence de la ville elle-même qu’on ne voit pas du reste dans le film de Wim Wenders, c’est cette terre, ce terrain possédé par Travis, acheté là-bas sans que personne ne le sache, un bout de terrain pour y construire une maison pour sa famille mais qui ne verra jamais le jour. Cette ville dans l’ombre, cette maison fantôme, tout tient dans la main de Travis à la recherche d’une identité et de sens, entre ses doigts : la photographie d’un lieu désert avec seulement un panneau à vendre, planté au milieu.

Photographie de répérage du fil Paris, Texas de Wim Wenders

Un endroit qui n’existe pas, un lieu fictif. Des villes sans réalité, des villes imaginées, rêvées, fantasmées, il en existe beaucoup à travers la littérature, l’architecture, le design, le cinéma, la bande dessinée, de la littérature, l’art ou le numérique, des lieux inventés, certains de ces lieux on en reconnaît l’inspiration, d’autres c’est plus abstrait, lointain mais ils laissent tous une grande place pour la projection.

4D City, Aegea, Alaxis Alphaville, Amity, Aquila, Arcology, Arcosanti, Arkham, Armilla, Arrakeen, Astro City, Atlantide, AVL-Ville, Babel, Babylone, Balbec, Bensalem, Bottle City, Bree, Broadacre City, Brusel, Butua, Caithris, Calvani, Capital City, Central City, Chaux, Cité administrative, Cité Barnum, Cité chimique, Cité des demi sphères, Cité de Dieu, Cité des enfants perdus, Cité dans l’espace, Cité des femmes, Cité flottante, Cité Idéale, Cité imaginaire, Cité Industrielle, Cité Intra, Cité linéaire, Cité du livre, Cité marine, Cité mondiale, Cités d’Or, Cité du Soleil, Cité des superbes demeures, City Air Ocean Town, Cloud City, Coal City, Combray, Computer City, Container City, Cyberpolis, Cythérée, Dead City, Dogville, Écopolis, Edge City, Edoras, Eldorado, Enoch, EPCOT, Experimental Prototype of City Of Tomorrow, Équateur City, Falcon City, Fondcombe, France-Ville, Futurapolis, Galatograd, Garden City, Gattaca, Giant City, Gotham City, Harmonie, Helix city, Hill Valley, Hygeia, Icarie, Inner City, Instant City, Intrapolis, Isidora, Jerimadeth, Kandor, Khazad-dûm, King City, La Moria, Leisure City, Libertalia, Lillypad, Liquid City, Living City, Lonely City, Marine city, Mega-City, Mesa CityMétropolis, Métapolis, Microutopia, Milliard-City, Minas Ithil, Minas Morgul, Minas Tirith, Il Monumento Continuo, Mylos, New-Jamestown, New-Lanark, New New York, Nouvelle Babylone, NO Stop City, Nouvelle Atlantide, Océana, Oniropolis, Non, Pâhry, Paris 1900, Petitecave, Poséidon, Plug-in-City, Quirm, R’lyeh, RMB City, Samaris, Sin City, Sion, Slave City, Smallville, Stahlstadt, Synchronie, Tamoé, Terra Toulouse, Thalassa, Tharbad, Thélème, Tirion, Toonville, Twin Peaks, Urbicande, Utopia, Valmar, Vaux, Vernii, Ville de 2000 tonnes, Ville conique, Ville contemporaine de trois millions d’habitants, Ville continent, Ville flottante, Ville future, Ville de Gay France, Ville haute, Ville limaçon, Ville-loisir, Ville lunaire, Ville machine, Villemolle, Ville nuage, Ville Oblique, Ville-Pont pour Alger, Ville-Pont pour Londres, Ville-Pont pour Monaco, Ville-Pont pour Shangaï, Ville-Pont sur la Manche, Ville privée, Ville Radieuse, Ville réseau, Ville Spatiale, Ville Totale, Ville usine, Ville en X, Vinyamar, Virtuapolis, Walking City, Wadesdah, Yahoo, Zion, Zoo City.

Les entrées fictives sont nombreuses.

Un auteur ajoute un passage qui n’a aucun sens dans un de ses livres, juste pour voir si un lecteur s’en rend compte et savoir ainsi s’il est lu. Mais quand il se rend compte que personne ne s’en aperçoit il est encore plus dépité, le problème ce n’est pas qu’il est mal lu, mais en fait il n’est pas lu du tout.

Ailleurs, c’est un petit point sur une carte. Un détail anodin apparemment sans importance. Une ville indiquée sur une carte depuis des années, mais voilà cette ville n’existe pas, elle n’a jamais existé. C’est un leurre, un mirage, une illusion. Une erreur ? On peut dire cela mais une erreur volontaire.

Ce point sur la carte, cette ville qui n’existe pas vraiment, sur aucune autre carte, ni aucun plan, imprimé ou numérique, est un piège. Mais il suffirait d’y habiter pour qu’elle existe réellement, prenne forme et détourner sa fausse représentation sur la carte en la faisant correspondre à la réalité du terrain.

Un jeune stagiaire qui travaille dans une entreprise de topographie chargée de mettre à jour les plans d’une grande ville dans son évolution constante. Un soir, il rend service à une jeune femme en la raccompagnant chez elle avec la voiture de son entreprise, mais elle y oublie deux clés USB dans un petit étui. Comme son nom et son numéro de téléphone sont inscrits à l’intérieur, il téléphone à ce numéro pour le lui rendre, mais un homme vient au rendez-vous à sa place. Le jeune homme découvre alors que la rue où la fille s’est rendue n’existe ni sur le plan de la ville, ni sur les GPS et qu’une société mystérieuse dont on ne saura jamais réellement les activités, y a son siège.



Les rues pièges comme celle du film Trap Street de Vivian Qu existent mais en sens inverse : les cartographes les dessinent sur leurs plans alors qu’elles n’ont aucune réalité, afin qu’elles servent de copyright à leur travail, un peu comme les tatouages numériques qui apparaissant en filigrane pour les photos. rap street (que l’on peut traduire par « rue-piège ») est un terme anglais pour désigner un élément graphique fautif dessiné sur une carte routière dans le but de découvrir les violations de droit d’auteur. Si la carte d’un concurrent comprend cet élément, l’ayant-droit peut espérer facilement démontrer que sa carte a été recopiée. Toutes les cartes se prêtent à des modifications délibérées qui ne causent le plus souvent qu’un désagrément mineur chez le consommateur. Cet ensemble de modifications est plus généralement qualifié de copyright trap1.

Agloe, dans l’État de New York

C’est ce qui s’est passé à Agloe. Agloe est une ville de l’Etat de New York, inventée de toutes pièces par deux créateurs de cartes de la General Draft Company dans les années 1930, Otto Gustave Lindberg et Ernest Alpers. Le nom Agloe est d’ailleurs l’anagramme de leurs initiales.

Ce que décrit Nicolas Rambert sur son blog : « Quelques années plus tard, on retrouve effectivement la ville d’Agloe sur une carte concurrente, celle de Rand McNally. Le plagiat semble donc acté et un procès a lieu. Mais, ce n’est pas si simple, et c’est là que l’histoire devient amusante. Car entre temps, dans les années 50, en lieu et place du point indiqué sur le carte, a ouvert un commerce intitulé « Agloe General Store ». Conséquence de quoi, pouvant prouver l’existence réelle et matérielle de ce lieu, McNally se defend et gagne le procès. Patatras ! Plus tard, et même si le magasin fini par fermer, on retrouvera encore la ville d’Agloe sur les cartes Google Maps et dans différentes bases de données américaines. »

J’aimerai bien un jour me rendre sur place à Paris, Texas, et découvrir peut-être que sur le terrain qu’on aperçoit sur la photographie du film de Wim Wenders, avec sa pancarte For Sale, une maison y a été bâtie, une famille y vit aujourd’hui.


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