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Séance 174

Cet atelier figure dans l’ouvrage Comment écrire au quotidien : 365 ateliers d’écriture, édité chez Publie.net en version numérique et imprimée : 456 pages, 24€ / 5,99€.

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Proposition d’écriture :

C’est une contrainte particulière, pour un texte, d’appeler le corps. Par à coups, par essais, par tentatives. Cela passe essentiellement par le rythme mais c’est aussi une affaire de tonalités, de volume. Créer des ruptures, des trous d’air, des continuités, des accélérations, des suspensions, des dérives, travailler sur des qualités de respiration. Se tenir sur cette frontière étroite où ce qui se représente s’annule dans sa propre représentation, par un déplacement, une indétermination des signes : ainsi on peut rendre à l’apparition de la parole et à la présence de l’acteur tout leur poids, celui d’un événement. Ecrire ne revient pas à donner forme ou à faire apparaître une matière – expression de soi, du monde, de quelque chose qui serait déjà là – mais à travailler une situation précise, parfois banale : une forme spectaculaire, un récit, un dispositif d’énonciation et à lui appliquer une logique rigoureuse de l’action.

Purgatoire, Joris Lacoste, Théâtre National de la Colline, 2007.

Présentation du texte :

Purgatoire n’est pas une pièce qui a quelque chose à dire : c’est une pièce qui propose une opération. Purgatoire ne cherche pas à représenter, raconter, décrire, signifier : Purgatoire travaille à la possibilité d’un événement. C’est un dispositif qui saisit ce qui est à sa portée, ici et maintenant, de l’endroit où nous sommes, pour le transformer en quelque chose d’autre. Purgatoire se présente comme un spectacle qui n’a pas lieu : quelque chose empêche le spectacle, il y a un problème et le problème bloque tout. On attend tous qu’il se passe quelque chose. On commence à se demander ce qu’on pourrait ou devrait faire. Il faut bien faire quelque chose, on ne peut pas rester comme ça. On voudrait tous que quelque chose arrive, quelque chose de réel, tout le monde veut, voudrait, souhaite, souhaiterait que quelque chose arrive. On attend. C’est un peu long. On se prépare. On imagine. On raconte. On appuie fort où il faut. On prend des options. Il y a du danger. Il y a des gens. Les gens sont calmes, intelligents, armés. Ils sont toujours au bord de faire quelque chose : quelque chose qu’ils ne font pas, et qui serait terrible : car alors ce ne serait plus du théâtre. Comme si l’ennui, la répétition, le somnambulisme ne pouvaient se résoudre que dans une sorte de catastrophe, une situation-limite, un événement de rupture. Comme si le seul geste capable de briser la monotonie était forcément un geste dévastateur, un désastre, une irruption de réel brut. Ce n’est pas possible, bien sûr. Purgatoire, c’est une manière d’habiter le fiasco. Purgatoire, c’est comment faire quelque chose depuis nos incapacités. Purgatoire, c’est l’écart dans lequel se loge la représentation : translation d’espace, de perspective, de profondeur, décalage de ce qui est là vers un dehors proche et lointain, plus ou moins inquiétant, peut-être mortel. Purgatoire, c’est un combat sans merci entre ironie et littéralité.

Joris Lacoste

Extraits :

« Je voulais dire vivre et j’ai pensé être et j’ai dit obéir. J’ai dit exister. Je voulais dire connaître et j’ai pensé croire et j’ai dit cogner. C’est ce que j’ai dit. Je n’ai pas dit autre chose. Ce n’est pas ce que je voulais. Je voulais dire connaître et j’ai pensé croire et j’ai dit cogner. Je voulais dire toucher et j’ai pensé tordre, j’ai dit déchirer. J’ai dit désirer. Je voulais dire dire et j’ai pensé détruire, j’ai dit désirer. J’ai dit détruire. J’ai laissé dire, j’ai laissé faire, j’ai laissé désirer. Je voulais dire dire et j’ai pensé parler et j’ai dit déborder. Je voulais dire dire et j’ai dit disparaître. J’ai pensé devenir et j’ai dit. Je voulais dire devenir et j’ai pensé disparaître. Je n’ai rien dit. Je voulais dire bouger. Je voulais dire disparaître et je n’ai rien dit. Je n’ai pas parlé. Je n’ai pas bougé. Je voulais dire et j’ai pensé, je n’ai pas parlé. Je n’ai rien écrit. Je n’ai rien dit.Quelque chose n’a pas bougé, n’a pas parlé, n’est pas sorti de ma bouche. Je n’ai rien écrit. Je n’ai rien dit. J’ai pensé parler. C’est tout. Je n’ai pas dit autre chose. Je voulais dire disparaître. Je n’ai pas fait autre chose. Je voulais dire bouger et je n’ai pas dit autre chose, je n’ai pas bougé. Je n’ai rien dit. C’est ce que j’ai fait. »

« Tu prends un petit élan, tu mets les mains au sol et tu lances un bon coup de pied de la jambe droite, bon coup de pied retourné qui te retourne, la jambe arrive de l’autre côté avec le même bras qui s’allonge, qui se prolonge, une jambe pliée, un talon dans le cul, l’autre jambe tendue, le poids du corps sur le pied gauche et tu balayes comme ça, tu balayes et tu atterris comme ça, tu donnes une impulsion avec ton bras droit toujours en l’air indiquant la direction opposée, ton regard donne un mouvement à tes hanches, ça te lance en l’air dans un tour qui te redresse, qui te hisse au niveau, tu ramènes la jambe gauche avec les mains, tu prends appui sur la jambe gauche avec les mains, tu es prêt pour le combat, tu fais une marche de trois pas mains motrices autour de l’axe formé par tes bras entrelacés, tu tournes et tu continues comme ça, tendu comme ça sur le pied droit puis volte en l’air avec les deux genoux et tu atterris sur les deux pieds, un bon amorti qui te relance aussitôt, coup de pied retourné avec la jambe droite, tu pousses et tu balances le talon vers l’arrière, tu reprends de l’élan, tu fais un, deux, trois, quatre, cinq petits bonds en tournant sur la gauche, tu reprends ton coude, tu envoies ton bras droit tendu virer à l’horizontale, comme ça,main tranchante, sabre, serpette, le plus loin possible et quand tu es là, quand tu es au maximum de l’extension de la révolution tu te laisses entraîner par le style et tu fais une roue, tu peux en faire deux, tu roules de l’autre côté, la jambe gauche retombe en dernier et prend le rebond, ton bras droit revient se rabattre, tu le bloques au niveau du coude, tu envoies le pied droit plein d’énergie renouvelée dans le bras, le pied pousse un peu plus loin que l’impact attendu, comme ça, et tu réinjectes ton bras gauche dans ton bras droit, sur l’axe pour une fois, tu as jeté, tu jettes ton bras, tu te baisses en même temps et tu tournes et tu te retrouves comme ça, presque accroupi, épaules hautes, bras en l’air, poignets lâchés. »

Purgatoire, Joris Lacoste, Théâtre National de la Colline, 2007.

Présentation de l’auteur :

Joris Lacoste, né en 1973, vit et travaille à Paris et à Berlin. Il écrit pour la scène et la radio depuis 1996 : Comment cela est-il arrivé ? (1997), Nouvelles révélations sur le jeune homme (1999), Ce qui s’appelle crier (2000), Comment faire un bloc (2002). Il a par ailleurs travaillé avec plusieurs chorégraphes, notamment Boris Charmatz, Jennifer Lacey et João Fiadeiro, avec lequel il a développé la méthode de Composition en Temps Réel. Il co-dirige les Laboratoires d’Aubervilliers et est artiste associé au Théâtre National de la Colline. Il Pariticpe à l’encyclopédie de la parole.

Liens :

Le site personnel de Joris Lacoste

Pas un monstre : blog de Joris Lacoste

L’encyclopédie de la parole

Textes, articles et entretiens en ligne de Joris Lacoste sur remue.net

Théâtre National de la Colline


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